La rhétorique de la vie affective :
Susciter, comprendre et nommer les Émotions
Introduction :
A la fois excitations corporelles et jugements de l’âme, aussi bien irrationnelles qu’indispensables au choix et à l’action, à la fois innées et apprises par le milieu familial et social, universellement partagées et relatives à chaque culture, passivement subies et intentionnellement dirigées, cachées au plus profond de nous-mêmes et directement lisibles sur notre visage, les émotions remettent en cause les grands partages de la pensée occidentale. Notre colloque se propose d’analyser et de mieux comprendre ce caractère foncièrement ambivalent des émotions.
I. La portée cognitive des émotions : perturbations de l’âme vs. émotions rationnelles
Longtemps rejetées comme le contraire de la rationalité, les émotions se trouvent depuis une trentaine d’années revalorisées comme faisant partie intégrante du fonctionnement cognitif de l’être humain. Les chercheurs en sciences cognitives (R. Sousa, A. Damasio) soutiennent que nos choix rationnels ne relèvent ni exclusivement ni principalement du domaine du calcul, mais d’une attribution de valence affective à tel choix plutôt qu’à un autre. Les émotions participent par là même à ce que l’on pourrait appeler la rationalité pratique. Et pourtant, les émotions – notamment sous forme de passions violentes – peuvent également obscurcir la raison et nous amener à des actions dont nous regrettons les conséquences. A cet égard, la littérature, par des stratégies et des techniques qu’il s’agira d’étudier, nous éclaircit sur le fonctionnement des émotions, sur l’enchevêtrement du corporel et du mental dans nos affects, de même que sur les motivations et les inhibitions émotionnelles de notre agir.
II. Les enjeux éthiques et politiques des émotions : le caractère édifiant vs. destructeur des émotions
Les émotions jouent un rôle ambivalent également dans le domaine éthique et politique : d’une part, elles témoignent de notre capacité d’empathie et sous-tendent ainsi notre comportement moral envers autrui ; de l’autre, elles se prêtent à être manipulées de sorte à exacerber les identités ethniques et nationales. D’où la nécessité d’une éducation sentimentale nécessaire à la construction de l’espace démocratique. Selon M. Nussbaum, ce sont notamment les émotions suscitées par la littérature qui nous rendent capables de nous intéresser et nous rendre sensibles aux vies très différentes de la nôtre et à leur vulnérabilité. La littérature représente un laboratoire de première importance pour étudier ces deux côtés, édifiant et destructeur, des émotions et des passions.
III. La dimension narrative de la vie affective : les émotions sont-elles universelles ou particulières à chaque culture ?
S’il est vrai que les émotions sont inscrites dans notre bagage biologique comme autant de manières de s’adapter à l’environnement, conditionnées par l’évolution commune de l’espèce humaine, il n’en reste pas moins que l’universalité des émotions est contestée par les différentes stratégies par lesquelles chaque culture institutionnalise et sanctionne les conduites émotionnelles. Il en résulte non seulement des classifications et nomenclatures hétérogènes entre les cultures, mais aussi des manières radicalement différentes d’exprimer et de mettre en récit les émotions que nous éprouvons. Autrement dit, nos émotions sont socio-culturellement constituées dans la mesure où chaque langue découpe notre vie affective à sa propre façon et où chaque comportement émotionnel est façonné par les valeurs morales et les codes sociaux. On peut ainsi étudier la classification et la narration des émotions, en posant à la vie affective la question de son histoire et de sa géographie, afin de mieux comprendre ses multiples conditionnements.
Le comité scientifique prendra en considération les propositions de conférences portant notamment sur les questions et thèmes suivants :